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26 mars 2018

La dette de la SNCF

La dette de la SNCF fait peser une lourde menace sur le gouvernement 9 mars 2018 Par martine orange

L’État a depuis des années imposé la politique hors de prix du tout TGV, au détriment du reste du réseau ferroviaire. Aujourd’hui, SNCF Réseau, chargé des infrastructures ferroviaires, croule sous près de 50 milliards d’euros de dettes. Il suffirait de presque rien pour que l’État soit obligé de reprendre cette dette.

C’est un petit pour cent mais qui pourrait peser très lourd dans les finances publiques. Il semble avoir été au cœur des réflexions de la réforme de la SNCF, au centre de toutes les attentions du ministère des finances et du pouvoir.

« Du point de vue européen, la dette de SNCF Réseau n’est pas intégrée dans la dette publique. Mais il suffit de pas grand-chose pour qu’elle soit requalifiée d’un coup. Les coûts de SNCF Réseau sont couverts à hauteur de 51 % par ses recettes commerciales. Si les recettes commerciales deviennent inférieures à 50 %, tout bascule, selon les règles européennes. La dette serait alors requalifiée comme dette publique et SNCF Réseau serait considérée par l’Insee comme une administration publique qui ne peut plus contracter d’endettement au-delà d’un an », raconte à Mediapart un connaisseur du dossier proche des rapporteurs de la mission Spinetta.

Édouard Philippe et Élisabeth Borgne lors de l'annonce de la réforme de la SNCF le 26 février 2018. © DR

Pas besoin de longue explication pour comprendre que c’est le scénario noir pour le ministère des finances et le gouvernement. D’un seul coup, l’État serait obligé de reprendre directement dans les comptes publics 46,6 milliards d’euros de dettes, portés actuellement par la SNCF !

Tous les beaux engagements pris par le gouvernement de respecter les critères de Maastricht, dont le fameux 3 % de déficit public, de réduire la dépense et l’endettement publics, exploseraient. « L’enjeu de la reprise de la dette et de la réforme, c’est d’éviter cela », poursuit ce proche du dossier. Interrogés sur la réalité de ces chiffres et des risques, ni la SNCF ni le ministère des finances ne nous ont répondu.

Le sujet, cependant, se retrouve constamment dans le rapport Spinetta, rendu public en février pour réformer la SNCF. Insistant sur la dette « considérable » de SNCF Réseau (ex-Réseau ferré de France) et sa trajectoire non maîtrisée – « 62 milliards d’euros en 2026 », rappellent-ils –, les rapporteurs enfoncent le clou : « Il convient de rappeler que l’équilibre économique du gestionnaire d’infrastructure constitue, depuis 2012, une obligation européenne qui s’impose à l’État français, transposée en droit français par la loi du 4 août 2014 : la somme des recettes des péages et des concours publics doit permettre la couverture du coût complet de l’infrastructure. Le coût complet est donc la référence pour évaluer l’équilibre économique du gestionnaire d’infrastructures », écrivent-ils.

« Ce ne sont pas les salariés, le statut qui sont responsables de la dette », rappellent en chœur les syndicats de la SNCF, qui demandent que l’État reprenne la dette de l’entreprise publique. Depuis des années, la direction de la SNCF fait la même demande, estimant qu’il lui faut assumer le prix de choix qui n’ont pas été les siens. De fait, la situation d’endettement de l’entreprise publique est liée aux choix de l’État, du ministère des finances et des transports en particulier, depuis des années. Mais une étrange amnésie semble avoir frappé les uns et les autres.

Mais comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer que le réseau ferroviaire soit devenu si dégradé, au point d’imposer des ralentissements de circulation, de connaître de multiples incidents et des retards incessants, alors que le gestionnaire de réseau croule sous les dettes ? La réponse tient peut-être en quelques mots : la politique du tout TGV. Les choix aveugles des gouvernements successifs en faveur de cette politique, en mettant sous le tapis les coûts qu’elle représentait, participent pleinement à la faillite opérationnelle de la SNCF d’aujourd’hui.

Structure de défaisance

Pour comprendre cet engrenage, il faut revenir à 1997. Le 13 février 1997, le gouvernement d’Alain Juppé crée un nouvel établissement public industriel et commercial (EPIC), Réseau ferré de France (RFF). Officiellement, il s’agit de se conformer à la première directive européenne du transport ferroviaire, adoptée en 1991, qui impose la séparation entre le gestionnaire de réseau et l’exploitant historique. Sans vouloir tenir compte de ce que représente un monopole naturel, la Commission de Bruxelles, au nom de la concurrence libre et non faussée, estime que cette séparation est indispensable pour favoriser l’émergence de nouveaux compétiteurs et relancer une Europe ferroviaire.

 Dans l’esprit du gouvernement, la séparation entre les infrastructures de réseau et la SNCF en tant qu’exploitant a un autre avantage : c’est aussi un moyen de régler la situation de l’entreprise publique, déjà surendettée à la suite de la construction des premières lignes TGV (Paris-Lyon, Paris-Tours, etc.).

RFF sera d’abord cela : une structure de défaisance. Car à la différence du gouvernement allemand, le gouvernement français exclut à l'époque de reprendre tout ou partie de la dette de la SNCF. RFF lui permet de cantonner cet endettement en hors bilan sans que cela n’apparaisse dans les comptes publics et ne soit pris dans les fameux critères de Maastricht, au moment où l’euro se met en place. La mission première de RFF est donc de gérer la dette de la SNCF sur le long terme et de l’éteindre progressivement, comme s’y engageait alors le gouvernement.

Dès sa création, RFF hérite de 20,6 milliards d’euros de dettes sur les 30,4 portés par la SNCF. Les charges financières sont censées être payées par les recettes tirées des péages payés par la SNCF – ou les futurs exploitants à venir –, utilisant les infrastructures ferroviaires que RFF doit gérer et entretenir.

La création de cette structure fournit au gouvernement l’occasion de se désengager du financement des infrastructures ferroviaires. Sa contribution aux investissements ne cessera de diminuer au fil des années. Tout se met en place pour que la situation devienne financièrement incontrôlée. Car aucun réseau ferroviaire dans le monde n’est capable de s’autofinancer. Tous les États sont condamnés, d’une façon ou d’une autre, à payer ou subventionner leurs réseaux ferroviaires.

RFF est chargé de trouver les financements ailleurs, sur les marchés censés pourvoir à tout. Au fil des ans, l’entité est ainsi devenue une annexe de France Trésors, la structure qui gère la dette de l’État. Elle est devenue un grand émetteur d’obligations en euros, en dollars, jongle avec les swaps et les couvertures. Elle fait des road shows jusque dans les pays du Golfe pour trouver des investisseurs. En 2016, elle se félicitait d’être éligible au programme de rachats de titres de la Banque centrale européenne. L’institution, il est vrai, est un bon payeur : chaque année, elle verse 1,5 milliard d’euros aux investisseurs au titre du paiement de sa dette.

Entre la SNCF et RFF, un conflit structurel

Dès l'origine, le système ferroviaire a été conçu comme un modèle intégré : l'activité de gestion de réseau et celle de transports sont indissociablement liées, même physiquement : le profil des voies participe aussi aux performances de traction du train. Avec la séparation des deux entités, le système ferroviaire se désintègre.

L'organisation est conçue de telle manière que le gestionnaire de réseau et l’exploitant deviennent des frères ennemis, qui se voient fixer des objectifs radicalement opposés. La mission du premier est d’entretenir le réseau, d’assurer son développement, d’en tirer les revenus les plus élevés possible pour permettre son maintien. Les objectifs du second sont de faire rouler le plus de trains possible, au moindre coût, en limitant les gênes occasionnées par l’entretien du réseau.

© Reuters

Sur le terrain, RFF n’a aucune autonomie par rapport à la SNCF. Sans grands moyens humains, elle est placée de fait en état de dépendance face à l’exploitant ferroviaire. C’est la SNCF qui, en tant qu’exploitant délégué, détient les informations sur l’état des infrastructures, qui organise les créneaux de circulation, conduit les travaux de maintenance, fournit les équipes de travaux, puisqu’elle conserve quelque 50 000 salariés chargés des travaux.

Mais la création de RFF entraîne aussi d'autres bouleversements, à en croire certains salariés de l'entreprise publique. « La SNCF a longtemps été une entreprise d'ingénieurs. Pendant des décennies, elle est parvenue à conserver une certaine autonomie par rapport à la haute administration et aux grands corps. La création de RFF a permis au corps des Ponts et chaussées de prendre enfin le pouvoir à la SNCF en liaison avec le ministère. Ils ont fait passer l'entreprise par où ils voulaient », raconte un ancien cadre dirigeant.

Les présidents qui se sont succédé à la tête de RFF ont eu à cœur de montrer qu’ils existaient. Et le moyen le plus simple est de parrainer des projets nouveaux, de lancer des lignes à grande vitesse. Un tiers de l’endettement supplémentaire de SNCF Réseau depuis sa création est lié à la création de ces nouvelles lignes.

La politique du tout TGV

Les gouvernements successifs ne font rien pour freiner ces projets : tous ne jurent que par le tout TGV, la « vitrine française du ferroviaire ». En 2003, le gouvernement Raffarin annonce ainsi huit projets TGV parmi les grands projets d’aménagement du territoire. En 2008, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, Nicolas Sarkozy propose de lancer quatre lignes TGV en même temps.

Mais l’État veut bien être l’ordonnateur, pas le payeur. À partir du milieu des années 1990, il se désengage fortement du financement des infrastructures ferroviaires. « En 2001, le volume des investissements dans le secteur, en tenant compte de l’inflation, représentait seulement la moitié du niveau des investissements atteint en 1990 », rappelle un rapport sénatorial de 2008. Dans le même temps, le réseau routier bénéficiait de 11,1 milliards d’euros de financements publics par an, dont 1,5 à 2 milliards d’euros pour le réseau concédé, censé pourtant s’autofinancer grâce aux péages.

L’État s’est largement reporté vers les collectivités locales. Même si les retombées économiques de l’apport de ces lignes sont largement surestimées, amenant des déplacements d’emploi davantage que de réelles créations (voir l’entretien d’Yves Crozet, professeur d’économie des transports à Lyon 2), tous – municipalités, conseils généraux, conseils régionaux – veulent leur TGV. C’est une question de prestige. Et ils sont prêts à payer pour cela.

À partir du lancement de la ligne LGV Grand Est (Paris-Strasbourg), en 1998, toutes les collectivités locales seront mises à contribution pour des montants de plus en plus significatifs. Pour la ligne Paris-Strasbourg, elles ont versé quelque 750 millions d’euros. Pour Tours-Bordeaux, elles ont apporté 1,5 milliard d’euros. À chaque fois, RFF apporte un peu plus d’un milliard à ces projets, et sa signature en tant qu’établissement public bénéficiant de la garantie de l’État. À chaque projet, les prévisions d’augmentation de trafic sont mirifiques. On parle de multiplication par trois ou quatre. À chaque fois, ces prévisions se révèlent erronées. Ce qui augmente, en revanche, ce sont les coûts de construction des lignes, que se partagent en priorité et en toute opacité les trois majors du BTP, Vinci, Eiffage et Bouygues. Lors de la réalisation de la ligne Paris-Lyon, à la fin des années 1970, le coût du kilomètre était évalué à 5,5 millions d’euros en moyenne. Aujourd'hui, sur le Tours-Bordeaux, le prix du kilomètre dépasse allègrement les 20 millions d’euros. Dans le projet Bordeaux-Dax (s'il voit jamais le jour), il est déjà estimé à plus de 30 millions d'euros.

Dès sa création, l’équation financière de RFF n’est pas tenable. Les péages ne permettent plus de faire face aux dépenses d’investissement et aux frais financiers de sa dette. En dépit des dotations versées par l’État, elle est structurellement déficitaire, de l’ordre de 600 millions à 1 milliard par an. Son endettement ne cesse de grimper, au rythme d’un milliard et plus par an.

Gare du Nord, à Paris. Un réseau de plus de 80 ans où les trains ne peuvent parfois pas aller au-delà de 30km/h. © Reuters

Le réseau classique en déshérence

Pour essayer de contenir ses dépenses tout en poursuivant ses investissements dans les grandes lignes, RFF rogne sur ses missions d’entretien et de modernisation du réseau existant. Dès 2005, un rapport rédigé par Robert Rivier, professeur à l’école polytechnique de Lausanne, dresse un état des lieux alarmant : le réseau ferré français se dégrade d’une façon bien plus rapide que celui de ses voisins.

L’état de vétusté des installations des voies, comme de la caténaire et des postes de signalisation – certains datant de l’avant-guerre –, est préoccupant. « Le vieillissement du réseau, y compris sur les lignes principales avec une durée de vie des composants qui peut atteindre 70 ans soit au moins 20 ans de plus que recommandés par les experts européens pour des sections courantes : même les sections critiques ont une durée de vie bien trop élevée qui peut atteindre 50 ans contre une préconisation de 20 ans », note le rapport.

Surtout, la décision de favoriser le financement des lignes à grande vitesse s’est traduite, à partir de 1983, par une baisse continue des budgets alloués à la maintenance et au renouvellement. Selon le rapport, ces budgets en valeur constante accusaient une baisse en valeur de 3 % par an. La dépense par kilomètre de voie principale avait été divisée par quatre par rapport aux investissements identiques réalisés sur le réseau britannique, en dépit de la période noire traversée après la privatisation des infrastructures ferroviaires, avant qu’elles ne soient reprises par l’État.

Dans ses attendus, le rapport Rivier jugeait la politique ferroviaire « irresponsable ». Rappelant que le coût des mises à niveau pour rattraper le temps perdu se révélait souvent beaucoup plus élevé qu’un entretien et une maintenance continus, il préconisait une hausse rapide des investissements, de l’ordre d’au moins 2,5 milliards d’euros par an, si la France voulait éviter une grande saignée de son réseau ferroviaire, se traduisant par la fermeture de 30 % à 60 % de son réseau à l’horizon 2025.

Sous-investissement massif

Aucun de ces avertissements n’a été entendu. L’État, en premier lieu le ministère des finances, a toujours eu une bonne excuse pour ne rien changer dans ces modes de financement : la crise, la dette publique, l’Europe, Maastricht. Bref, il a toujours été urgent de ne rien faire.

Accident de Brétigny-sur-Orge, le 12 juillet 2013. © Reuters

Pendant des années, le réseau ferroviaire classique a continué à être délaissé par le gestionnaire de réseau. L’accident de Brétigny-sur-Orge, une des plus importantes catastrophes ferroviaires de l’après-guerre, en juillet 2013, a révélé l’ampleur des désastres : le réseau sur cette ligne à la fois nationale et régionale souffrait d’un sous-investissement massif et d’un défaut d’entretien depuis des années.

Selon l’enquête judiciaire (voir nos enquêtes ici et ), des alertes avaient été lancées par des responsables de la SNCF depuis 2008. Manque de moyens, désorganisation des équipes de travail, perte de compétences, réduction des dépenses… tout avait été fait pour repousser les réparations. L’entreprise avait même refusé de faire ralentir les trains, afin de ne pas avouer sa connaissance du mauvais état des voies. Par la suite, la direction de la SNCF tentera de manipuler l’enquête, afin de dégager sa responsabilité.

Aujourd’hui, plus 9 000 kilomètres de voies ferrées sur les 30 000 kilomètres du réseau sont considérés comme vétustes, voire dangereux, faute d’avoir été entretenus de façon régulière et suffisante. Les réseaux autour des grandes villes, à commencer par ceux de l’Île-de-France, qui ont été conçus au début du XXe siècle, transportent dix fois plus de voyageurs qu'il n'était prévu au moment de leur création, sans avoir été rénovés.

Les caténaires sur certaines lignes, même sur des lignes aussi fréquentées que le RER C, atteignent les 80 ans de service. Régulièrement, des trains sont supprimés, faute de matériel de conduite en état de marche. Sur des milliers de kilomètres, les trains sont obligés de rouler à des vitesses inférieures à la normale, allant parfois à 30 à l’heure parce que les voies ne sont plus sûres. Toute la culture de la SNCF s’érode, que ce soit la ponctualité ou la sécurité, alarmant aussi bien les cheminots que des responsables au sommet, parce que l’entreprise publique n’est plus en capacité de leur donner les moyens de respecter les règles de base.

Le ferroviaire en PPP

Mais pas question pour autant de renoncer à la politique du tout TGV. Faute de moyens, l’État s’est fait l’ardent défenseur des partenariats public-privé (PPP). Au ministère des transports, Patrick Vieu, haut fonctionnaire chargé du transport ferroviaire, devenu par la suite conseiller transports de François Hollande à l’Élysée, avant d’être nommé vice-président du conseil général de l’environnement et du développement durable, s’est particulièrement impliqué, semble-t-il, dans la promotion de ce modèle. Un choix qui revient à faire du hors-bilan à un prix exorbitant.

En 2010, l’État signe le premier PPP ferroviaire avec le fonds Lisea, emmené par Vinci, pour la réalisation de la ligne Tours-Bordeaux. Un contrat en or pour ce fonds privé. Le projet – estimé d’abord à un peu plus de 6 milliards pour aboutir à 7,8 milliards d’euros – a été financé à hauteur de 3 milliards d’euros par l’État, l’Europe et les collectivités. Réseau ferré français (RFF) a apporté de son côté un milliard pour le financement en lui-même, sans compter un autre milliard pour le financement des raccordements. Le groupement privé a quant à lui financé le projet à hauteur de 3,8 milliards, à plus de 80 % par endettement dont une partie garantie par l’État (voir notre article).

Selon le contrat de PPP, le groupement privé va cependant toucher la totalité des bénéfices de cette concession qui lui a été accordée pendant 44 ans. Mieux, selon nos informations, le consortium a obtenu toute latitude pour augmenter chaque année les droits de péage de 3,5 %, en plus de l’inflation, au cours des dix premières années, et il bénéficierait d’une garantie de l’État en cas de perte d’exploitation. SNCF Réseau n’a pas droit aux mêmes largesses.

Les collectivités locales, qui ont financé cette ligne LGV, sont en train de découvrir huit mois après l’ouverture de la ligne qu’elles n’ont aucune voix au chapitre. « On avait promis à la municipalité de Ruffec [située entre Poitiers et Angoulême – ndlr] qu’il y aurait un arrêt d’un TGV au moins une fois par jour, il y en a zéro. Les villes entre Tours et Bordeaux, que ce soit Châtellerault, Poitiers, Angoulême, Libourne, à qui il avait été promis plusieurs arrêts, constatent toutes que le compte n’y est pas. C’en est au point que le Medef manifeste sur les voies à Angoulême », raconte Victor Pachon, président du collectif de défense de l’environnement (Cade), qui regroupe une cinquantaine d’associations opposées au projet de LGV dans le Pays basque, censé prolonger la ligne Tours-Bordeaux.

Mais pour garantir la rentabilité de cette concession privée, la SNCF a elle aussi été mise à contribution. Agitant la menace de la faillite, le groupement Lisea a obtenu un arbitrage de l’Élysée en sa faveur. La SNCF a été obligée d’augmenter son trafic. « Alors que 26 trajets par jour étaient suffisants pour assurer l’équilibre, l’État nous en a imposé 37 », raconte Bérenger Cernon, responsable CGT Cheminots à Paris-Gare de Lyon. Cette hausse du nombre de dessertes permet au concessionnaire privé d’être assuré de toucher au moins 250 millions d’euros de péage par an. La SNCF a budgété une perte opérationnelle de 90 millions d’euros.

Ce n’est qu’un des exemples où l’entreprise publique a été priée de voler au secours du privé. En 2013, une ligne à grande vitesse, censément conçue à la fois pour les voyageurs et le fret, a été ouverte entre Perpignan et Figueras. Cette liaison devait s’inscrire dans le prolongement de la ligne Bordeaux-Pays basque, censée elle aussi être mixte.

Le projet d’un montant de 1,1 milliard est financé par un groupement privé, TP Ferro, dans lequel figure Eiffage. Six mois plus tard, toutes les prévisions de trafic et de transports de marchandises se révèlent totalement irréalistes, comme certains opposants au projet l’avaient dit. En 2016, la société concessionnaire a été mise en faillite. Et RFF a été prié avec son homologue espagnol, Adif, de reprendre les infrastructures et la dette. Dans quelles conditions ? Mystère. Interrogé à ce sujet, SNCF Réseau ne nous a pas répondu.

Les opposants aux gros projets grande vitesse suivent avec la même attention la ligne Nîmes-Montpellier, autre PPP signé entre RFF et Bouygues cette fois (Eiffage, la troisième major du BTP, a obtenu la construction de la ligne Le Mans-Rennes), qui là encore doit permettre un transport mixte (voyageurs-fret) en liaison avec la LGV Méditerranée et Barcelone. Le projet, estimé à ce stade à plus de 2 milliards d’euros, sans compter la construction d’une nouvelle gare à Montpellier, doit permettre de gagner 20 minutes entre Paris et Barcelone…

La fin de l’âge d’or du TGV

Dès 2010, la SNCF est obligée de faire le constat : la fréquentation des TGV est en baisse. À l’exception de Paris-Lyon, la première ligne construite, les autres lignes n’atteignent pas le seuil de rentabilité escompté, quand elles ne sont pas en perte. Le train à grande vitesse qui participait au financement de l’ensemble des activités de la SNCF n’arrive plus à se financer lui-même.

© Reuters

La situation ne cesse de se dégrader les années suivantes. Car RFF, pour faire face à ses propres impératifs financiers, augmente de son côté massivement ses droits de péage pour l’utilisation du réseau. En quelques années, la SNCF voit ceux-ci quasiment doubler. L’initiative est soutenue par la haute administration et par des responsables politiques qui, à l’instar d’Hervé Mariton (à l'époque UMP), défendent l’idée que la SNCF doit payer le coût réel des infrastructures ferroviaires, sans subvention de l’État, au nom de la juste économie. L’idée de service public est totalement enterrée.

La hausse des péages ferroviaires est directement répercutée sur les billets de train. Ajoutée à l’opacité totale qui entoure le prix d’un voyage en train depuis que la SNCF s’est convertie en 1994 aux pratiques tarifaires du secteur aérien (le rapport Spinetta reconnaît qu’il est dans l’incapacité d’établir le prix moyen d’un billet SNCF), la conséquence de ces augmentations est immédiate : les Français délaissent encore plus le train, jugé hors de prix, pour se reporter vers des solutions moins chères comme le covoiturage. Dans ses comptes 2015, la SNCF est obligée d’acter ces baisses de fréquentation : elle passe plus de 2 milliards d’euros de dépréciation sur ses rames TGV.

Pour conjurer le déclin, la SNCF revoit (un peu) sa politique tarifaire, met en place de nouvelles offres à moindre prix avec Ouigo. Mais la direction de l’entreprise publique demande surtout une réforme complète de l’organisation ferroviaire. Le dispositif est entièrement écrit par Guillaume Pepy et l’équipe dirigeante de la SNCF.

Une nouvelle organisation est instituée, avec la création d’une holding, groupe SNCF. Celle-ci chapeaute d’un côté les activités d’exploitation ferroviaires et de transport sous le nom de SNCF Mobilités, de l’autre les activités de gestion des infrastructures de réseau. RFF, dont la dérive financière continue de s’accentuer, disparaît et revient sous le nom SNCF Réseau, reprenant les personnels chargés de la conception des infrastructures, de leur gestion et leur entretien. Mais la dette est plus que jamais là.

L’État botte en touche

Pour compléter cette nouvelle organisation, instaurée en janvier 2015, trois contrats de performance pluriannuels (2017-2026) ont été signés entre l’État – représenté par Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, et Alain Vidalies, secrétaire d’État aux transports – et la SNCF en avril 2017. Quelque 46 milliards d’euros d’investissements sont inscrits dans ces contrats sur dix ans, dont 28 milliards d’euros pour le renouvellement du réseau à partir de 2020. Dans le cadre de ces contrats, l’État confirmait son désengagement partiel en confiant aux régions le développement et l’entretien des réseaux régionaux, qui devraient recevoir 12 milliards d’investissements.

Afin de donner des moyens financiers supplémentaires, SNCF Réseau est autorisé, dans ce cadre, à augmenter ses péages sur les trains voyageurs en moyenne de + 2,8 % par an entre 2018 et 2026 et jusqu’à + 3,6 % les trois dernières années, soit bien au-delà de l’inflation. En dépit de cela, la dette du réseau ferroviaire devrait atteindre, selon ces contrats, 62 milliards d’euros à l’horizon 2026.

Afin d’essayer de contenir malgré tout l’endettement de l’entreprise publique, un dispositif y était inscrit, dit de la « règle d’or », obligeant l’État à financer tous les projets qui ne sont pas rentables mais qu’il souhaite quand même voir réalisés. En contrepartie de gains de productivité chiffrés à 1,2 milliard d’euros, l’État s’engageait à reprendre une partie de la dette ferroviaire vers 2020.

Signés juste avant le premier tour de l’élection présidentielle, sans avoir été soumis au Parlement, ces contrats étaient unanimement critiqués dès leur publication. L’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) jugeait même que ces engagements ne « résoudraient en rien les problèmes structurels du système ferroviaire ». Que valent désormais ces plans de performance dans le cadre de la réforme de la SNCF ? Le gouvernement se sent-il tenu par les engagements signés par l’État ? Interrogé à ce sujet, le ministère des finances ne nous a pas répondu.

« D’ici la fin du quinquennat, nous pourrons envisager la reprise de la dette de la SNCF. Mais cela doit être un point d’aboutissement, pas un point de départ. Ça veut dire qu’une fois qu’on aura fait la transformation de la SNCF […], nous pourrons envisager de reprendre la dette », a fait miroiter Bruno Le Maire, au moment de l’annonce de la réforme de la SNCF le 26 février. En clair, le gouvernement entend utiliser la bonne vieille ficelle politique : différer autant que possible le sujet, en laissant aux successeurs la gestion de la suite.

À moins que le fameux petit pour cent, celui qui fait toute la différence entre une dette d’entreprise publique et la dette publique, ne vienne tout brouiller et contraigne le gouvernement à réintégrer dans les finances publiques les 50 milliards d’euros d’endettement de la SNCF. Fin novembre, l’Arafer émettait déjà de sérieux doutes sur les prévisions de SNCF Réseau.

Dans son avis, l’autorité de régulation soulignait que la maîtrise des comptes de la société avait été atteinte au prix du gel des dépenses, notamment d’entretien des infrastructures. Ses prévisions budgétaires, relevait-elle, lui paraissaient bien optimistes. « Ces hypothèses, qu’elles portent sur l’évolution des redevances, sur l’augmentation des concours de l’État ou encore sur la maîtrise des dépenses, conduisent à définir une trajectoire peu réaliste au-delà des trois premières années du contrat et déconnectée des réalités économiques du secteur. »

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